Carnet de voyage

Zazen au Daisen-in.

Cet article est le point d’entrée dans le cercle calligraphié du zen. Ce premier zazen au Daisen-in constitue le point de départ de ce séjour à Kyoto, et illustre parfaitement toute ma compréhension de l’esprit japonais.

Calligraphie de Sôen Ozeki, moine responsable du zazen au Daisen-in.

今こそ 出発点  imakoso shuppatsuten 

Cette visite puis ce zazen au Daisen-in constitue pour moi un triple point de départ, mais un peu comme dans une spirale ascendante, ce point d’entrée dans le cercle est multidimensionnel. Je vais tenter de m’expliquer.

Si l’on ne comprend pas la manière dont nos vies fonctionnent, on pourrait penser que c’est un drôle de hasard que mon premier jour, ma première visite à Kyoto soit au Daisen-in. Pourquoi là et pas autre part. Mais parce que tout simplement : ici et maintenant, c’est le point de départ !

C’est donc par la calligraphie et la langue japonaise que j’ai été initié au préalable à ce lieu.

Ici et maintenant, c’est le point de départ.

C’est le début de la phrase que le Sōen Ozeki, le moine actuellement responsable du Daisen-in a calligraphié en grand et reproduit en petit. Mais cette calligraphie a une histoire que je me dois de raconter pour être honnête et complet. Cette phrase calligraphiée en japonais orne mon coin de méditation depuis quelques années. En effet, elle me fut ramenée par mon frère lors de son voyage à Kyoto. Et j’ai depuis décortiqué le sens en japonais pour tenter d’en saisir l’essence.

En dehors du lieu quelque peu magique et hors du temps que représente le Daisen-in, ma visite est comme inscrite dans une boucle temporelle, dans laquelle je me recentre.

Mon aimable hôte Naoko-san ayant réservé ma place ce matin, grâce à un petit coup de fil en japonais, je me présente aux environs de 16h30 à la petite entrée du Daisen-in. Elle est dissimulée au milieu des arbres, au bout d’une petite allée de gravillon. Les murs du temple lui-même sont à moitié masqués par les arbres, et ne serait-ce une pancarte indiquant l’entrée, celle-ci passerait totalement inaperçue dans une promenade insouciante au milieu des allées du Daitoku-ji dont le Daisen-in fait partie.

Entrée du Daisen-in.

Entrée dans le deuxième cercle.

Après avoir enlevé mes chaussures au niveau du genkan, qui signifie selon certains, « porte de la connaissance profonde », et qui est le point d’entrée où l’on rentre dans le temple, abandonnant normalement tout derrière soi. Si cette définition est séduisante, la traduction littérale est plutôt : endroit sombre, mystérieux. En tout cas, je règle mon droit d’entrée, ajouté à celui de zazen, au total 1 400 ¥. S’il est avéré que les Japonais sont profondément religieux, en contrepartie, les ministres de ces religions ont profondément le sens des affaires, qu’ils soient shintô ou bouddhistes. La personne de l’accueil me rappelle également qu’il est malheureusement interdit de filmer ou de prendre des photographies dans l’enceinte du temple.

Je fais le tour de la coursive qui entoure la salle de méditation, bordée des fameux jardins secs. J’admire le bateau et la tortue qui flottent dans le premier jardin. Et contemple de nouveau la cascade sèche. Les explications du livret en anglais sont aussi claires que de l’eau de roche… mais elles coulent dans le grand océan. Après avoir refait le tour des jardins secs une deuxième fois, j’écoute quelques explications en japonais.

La préparation du zazen au Daisen-in

Après y avoir été invité par le moine zen chargé de la cérémonie, je rejoins la salle de méditation. C’est un carré oblong, fermé d’un côté par l’autel et de petites niches, et équipé de l’autre par des portes coulissantes qui donnent sur les jardins et qu’un aide habillé en tenue de ville ouvre en partie.

Des coussins carrés sont installés sur deux lignes, de chaque côté de la salle. Une partie des coussins est repliée sur elle-même. Le temple appartient à la secte Rinzaï, et je vais au fur et à mesure comprendre les différences par rapport à ma pratique habituelle de zazen au dojo de Paris.

Une vingtaine de personnes prend place sur les coussins. Je suis le seul étranger dans cette majorité de femmes de tous âges et de quelques compagnons masculins.

Tout d’abord il ne s’agit pas d’un zen « soto », c’est-à-dire que les pratiquants ne sont pas tournés vers l’extérieur (soto = extérieur en japonais), mais vers l’intérieur. D’autre part, ce coussin carré et plat ne permet pas une bonne assise, ni de pouvoir prendre appui avec les genoux sur le sol. Qu’à cela ne tienne, je tente de prendre une position de demi-lotus. Tout le monde s’installe tranquillement. Le moine est plutôt rigolard. Il passe un peu de temps à expliquer l’usage du Kyosaku, ce bâton dont il va se servir pour frapper les participants ! Oui, c’est un peu surprenant ! Mais cela aide à atteindre l’éveil paraît-il ! Cela aide surtout à éviter de s’endormir et de s’engourdir pendant les trop longues périodes de méditation.

Le cœur du Zazen au Daisen-in.

Le moine sonne dans une petite clochette et le zazen démarre dans une ambiance plutôt conviviale et bon enfant. Il ne se passe pas très longtemps avant que le moine se présente devant les participants pour leur proposer, de manière suffisamment insistante, un petit coup de kyosaku. Le pratiquant fait gassho et s’incline. Le moine frappe sur le dos. Il fait le tour des participants et personne ne se dérobe. J’hésite un peu. J’ai déjà reçu le kyosaku, mais c’était dans d’autres conditions. Le point d’impact était donc différent. Mais je fais gassho et m’incline. Deux petits coups frappent une partie du dos, puis de l’autre côté. Cela ne fait pas vraiment mal. Je reprends ma posture.

J’ai été un peu présomptueux de vouloir me mettre en demi-lotus alors que cela faisait longtemps que je n’avais pas pris la posture. Et mes chevilles tirent un peu. Je suis obligé de décroiser légèrement les jambes. La posture n’a pas l’air d’être aussi stricte que là où je pratique d’habitude. Le moine refait un tour de kyosoku et tout le monde – ou presque – en redemande.

Le moine semble prendre plaisir à donner le kyosaku. Il ressort de son attitude un côté presque comique qui contraste avec le sérieux des lieux. Le temps passe vite. Je ne peux pas dire que j’aurais fais le vide dans mes pensées pendant ce zazen. Beaucoup trop de nuages qui passent dans le ciel.

Le moine sonne la fin de la cérémonie. Tout le monde se détend doucement, réactive ses membres endoloris. Puis reprend tranquillement ses affaires et se dirige vers la sortie.

La cérémonie du thé.

Une des personnes de l’accueil distribue à tous les participants un petit gâteau sur une feuille de papier. Nous rejoignons en silence une petite pièce, où du matcha, le thé vert de cérémonie, est servi. La table basse à laquelle il faut se mettre à genoux permet d’accueillir quatre ou cinq personnes à la fois, pendant que les autres attendent tranquillement leur tour.

Les participants mangent leur petit gâteau à peine sucré, comme d’autres dans d’autres temps et d’autres lieux avalaient une hostie.

Le matcha est versé dans la tasse, puis battu avec un fouet. On tourne la tasse une fois avant de boire, puis on prononce la phrase rituelle d’itadakimasu. Chacun boit religieusement ce thé légèrement amer. Puis, on la tasse d’un demi-tour dans l’autre sens avant de la repousser vers les officiantes-serveuses.

Bol de thé matcha.

La sortie du cercle.

Après ces deux derniers demi-tours, nous allons bientôt ressortir du temple. Le moine dit gentilement au revoir à tous les participants. Et nous nous engageons dans la pénombre des pavés de pierres qui marquent la sortie. En définitive, si cette expérience de zazen au Daisen-in peut paraître bien anecdotique par rapport à ma pratique générale de zazen, elle représente le point où se recoupent les trois lignes que j’ai évoqué dans les fondements de l’esprit japonais comme constituant les bases de mon approche du Japon, à savoir le zen, les arts martiaux et la langue, les trois étant finalement inextricablement liés, ce qui est manifeste ici au Daisen-in. Car pour la petite histoire qui rejoint la grande, on dit que le moine bouddhiste Takuan, y aurait aussi enseigné les points essentiels du Kendô à Miyamoto Musashi, faisant ainsi le lien avec les arts martiaux. Ce qui me fait sortir de ce cercle, pour mieux y rentrer.

Traduction de la calligraphie de Sôen Ozeki.

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