La cérémonie du thé.
L’appellation cérémonie du thé est le terme employé pour traduire : sa-dô, qui veut dire littéralement : « La voie du thé ». L’idée de cérémonie véhicule bien l’idée de rituel et y ajoute une connotation religieuse. Mais cette cérémonie évoque souvent la lenteur et l’ennui pour les occidentaux. Essayons ensemble d’en décoder l’usage, l’histoire, la pratique et la véritable saveur. Tentons de comprendre pourquoi et comment ce simple geste de boire du thé a été élevé au rang d’art par les Japonais. Et aussi comment il a donné naissance à plusieurs arts et artisanats et influence encore de nombreuses pratiques actuelles.
Cha-no-yu ou Sa-dô ?
Il existe en réalité deux mots en japonais, qui sont tous les deux traduits par cérémonie du thé. Le premier est Cha-no-yu (茶の湯), littéralement, l’eau chaude pour le thé. C’est tout ce qui concerne plus particulièrement la préparation du thé en elle-même. Le deuxième est 茶道: sâ-dô ou cha-dô qui sont les deux prononciations de 茶道. 茶 (cha ou sa) étant le thé, et 道 étant évidemment le terme qui désigne « la voie ». Le sa-dô est donc « la voie du thé ».
Petite histoire de la cérémonie du thé.
Comme l’ikebana (l’arrangement floral) et le kôdô (l’art de sentir les parfums), le sa-dô (la cérémonie du thé) fait partie des trois grands arts japonais traditionnels issus du zen.
En effet, le thé a été introduit au Japon par les Chinois en même temps que l’écriture et le bouddhisme à partir du Ve et VIe siècle. Les premiers à faire un grand usage du thé furent les moines bouddhistes zen qui avaient besoin de rester éveiller pendant leurs longues séances de méditations de zazen. Le thé matcha apparut au XIIIe siècle environ. Les samouraïs s’en emparèrent pour créer une cérémonie qui puisse faire écho aux arts de la cour. Son usage se répandit peu à peu dans toute la haute bourgeoisie, puis progressivement dans toutes les couches de la société.
Les principales écoles de la cérémonie du thé.
La cérémonie fut codifiée au XVIe siècle par Sen no Rikyû. Ses enseignements furent développés selon les quatre principes d’harmonie (和, wa), de respect (敬, kei), pureté (清, sei), et tranquillité (寂, jaku) qui sont encore au centre de la cérémonie du thé aujourd’hui. Comme c’est souvent le cas pour les arts traditionnels, ainsi que pour les arts martiaux, il va transmettre son savoir à ses descendants, qui vont se diviser en plusieurs écoles. Les deux écoles les plus connues sont l’omotesenke et l’urasenke, toutes les deux implantées à Kyoto depuis l’origine. La troisième école, la Mushakōjisenke, est associée à l’arrière petit fils du fondateur. Elle établira son siège à Takamatsu sur la demande du clan Matsudaraï.
Les objectifs de la cérémonie du thé.
Les 7 piliers de la cérémonie du thé tels que définies par Sen no Rikyû sont les suivants :
« Fais un délicieux bol de thé,
Dispose le charbon de bois de façon à chauffer l’eau,
Arrange les fleurs comme elles sont dans les champs,
Évoque la fraîcheur en été et la chaleur en hiver,
Devance en chaque chose le temps,
Prépare-toi à la pluie,
Accorde à chacun de tes invités la plus grande attention. »
De manière assez prosaïque, on pourrait penser que l’objectif de la cérémonie du thé est simplement de boire une tasse de thé matcha et de passer un bon moment avec un ami ou une personne que nous apprécions particulièrement. Cet objectif ne diffère en rien de ce que l’on peut faire aujourd’hui autour d’un verre de bière ou d’un café. Alors qu’est-ce qui fait réellement la spécificité de cette mystérieuse cérémonie du thé ? C’est que chaque geste a été codifié selon un rituel précis, afin d’en obtenir le résultat attendu. En effet, la cérémonie du thé apparaît très figée et semble obéir à un ensemble de règles très précises.
Le déroulement d’une cérémonie du thé.
J’ai eu la chance d’assister à une démonstration de cérémonie du thé lors de mon récent séjour à Kyoto. Il était organisé par Camellia, dans une maison traditionnelle située dans le sannenzaka, entre Gion et le Kiyomizu-dera. Nous avons été accueillis par une Japonaise en kimono qui nous a expliqué l’histoire de la cérémonie du thé, a préparé le thé, puis a permis à chaque participant de faire l’expérience de la préparation et de la dégustation d’un thé matcha. Dans ce cadre, la présentation et la fabrication, et la dégustation dure environ 1 heure.
Ce qu’il faut savoir, c’est qu’en réalité, une cérémonie complète dure plusieurs heures, voire presque la journée entière. Le maître de cérémonie aménage tout d’abord la maison de thé. C’est une petite habitation de quelques tatamis à peine. La porte est sur-baissée, ce qui oblige le visiteur à se baisser pour rentrer, et à oublier son niveau social. L’idée est que l’on se dépouille de ses soucis, de son statut social quand on rentre dans ce pavillon de thé. Il choisit une calligraphie adaptée à la situation qu’il place dans le tokonoma, petite alcôve surélevée. Il élabore ensuite une composition florale en accord avec la saison.
Ichigo ichie. »chaque moment est unique, chaque rencontre est unique »
L’hôte accueille tout d’abord son visiteur. Il pose un éventail devant lui, puis salue les deux mains jointes sur le sol. Puis il retire l’éventail, enlevant symboliquement la barrière qui le sépare de son hôte. Une autre interprétation est que cet éventail symbolise le katana que portaient à l’époque les samouraïs, mais qui devaient également rester à l’extérieur du pavillon de thé. Il n’était évidemment pas question de combattre dans ce lieu retiré et privilégié.
La cérémonie du thé est ainsi érigée autour du concept résumé par ce yojijukugo (expression idiomatique en quatre caractères) très connu des Japonais : ichigo ichie ( 一期一会), qui signifie littéralement, « un moment, une rencontre ». Il est très lié avec le concept d’impermanence du bouddhisme zen. À savoir que tous les phénomènes de la réalité sont éphémères. Il peut être traduit par l’expression : « chaque moment est unique, chaque rencontre est unique ».
Ce terme est également utilisé dans les arts martiaux, pour indiquer que chaque geste est unique et ne peut être répété à l’identique. Dans le cas des arts martiaux, puisqu’il est question de vie ou de mort – comme dans le zen – cette rencontre risque d’être effectivement la dernière pour l’un des participants, puisqu’elle risque de lui être fatale.
Aucun mot n’est prononcé pendant la cérémonie.
Toujours à cause de l’influence du zen, toute la rencontre va se dérouler sans presque prononcer un seul mot. L’hôte va faire visiter le jardin qui est associé au Pavillon de thé. L’invité se purifie les mains dans un petit bassin. Il se baisse ensuite pour pénétrer dans le pavillon du thé, montrant qu’il abandonne son statut social. Puis l’hôte va offrir quelques mets à déguster sous la forme de kaiseki. C’était à l’origine un menu frugal et végétarien servi aux moines. Mais il veut dire aussi rassemblement de mets, et c’est sous cette forme qu’il est toujours connu et utilisé. De petits mets différents sont posés sur de petits plats et servis en même temps sur un plateau. Un saké est ensuite servi, puis le ou les invités sont reconduits dans le jardin en attendant que l’hôte prépare les ustensiles.
L’intégralité de la cérémonie peut donc durer plusieurs heures. Mais elle se pratique rarement. Aujourd’hui à Kyoto, seuls quelques initiés ont eu l’honneur d’y participer. Et cela ne se commande pas ou ne se demande pas. C’est seulement le maître de cérémonie qui peut décider de qui il va inviter et à quelle occasion.
La préparation du thé.
L’officiant va selon des gestes précis et très codifiés, confectionner une tasse de thé qu’il va offrir à son invité. Il plie tout d’abord un petit mouchoir en soie, le fukasa, dont il se sert pour essuyer la boite à thé, le natsume. Cette boite laquée contient le précieux thé matcha. C’est déjà à elle seule une œuvre d’art. Toujours avec le même mouchoir de nouveau plié et replié selon des gestes précis, il va essuyer la cuillère à thé, le chashaku, une fois sur la face plate, une fois sur les côtés. Puis la cuillière est posée sur la boite à thé.
Avec le fouet
Le fouet en bambou, le chasen, est ensuite posé sur le sol. Puis l’officiant se saisit de la louche en bambou, le hishaku, et toujours à l’aide du mouchoir, soulève le couvercle de la bouilloire en fonte, normalement placée au cœur du foyer, le irori. Une louche d’eau chaude est prélevée et versée dans le bol, le chawan. C’est évidemment un des ustensiles le plus importants de la cérémonie. Ils sont cuits selon la technique du raku, et respectant les principes de wabi-sabi, qui associe l’idée de modestie face aux phénomènes naturels, à la sensation devant des objets modelés par l’homme et usés par le temps. Chaque pièce est effectivement unique et choisie en fonction de l’invité que l’on veut honorer.
La louche est ensuite reposée sur le bord de la bouilloire avec un petit claquement sec. L’eau est fouettée une première fois, pour nettoyer le bol et le réchauffer, sans que la poudre de thé ne soit encore versée. Cette première eau est jetée dans un autre bol, puis le bol est essuyé avec une petite serviette en lin ou en chanvre, le chakin. Deux petites cuillerées de thé matcha sont alors versées dans le bol. Puis la cuillère frappe sur les bords sur du bol. Puis l’on va y verser un peu moins d’une louche d’eau chaude, prise à la bouilloire. Le thé est ensuite fouetté suivant un mouvant précis et vif d’avant en arrière.
La dégustation du thé.
Le thé ayant un goût légèrement amer, une petite pâtisserie sucrée est proposée avant de boire le thé. Elle est posée sur une petite feuille de papier, le kaishi. L’invité prononce la phrase : « Désolé de commencer avant vous ». Puis on mange la petite sucrerie.
On salue pour remercier. Puis on prend le bol devant soi. Normalement, on le tourne de deux quarts de tour, pour pouvoir voir la face avant du bol. On boit tout le bol, sans en laisser une seule goutte. La bienséance veut que l’on retourne le bol pour montrer que l’on a tellement apprécié que l’on a rien laissé. On examine ensuite le bol sous toutes ses coutures, pour en admirer les motifs. On repose ensuite le bol, on refait de nouveau deux quarts de tour, et l’on rend le bol à l’hôte qui nettoie alors tous les ustensiles ayant servi à la cérémonie.
Mes impressions pendant la cérémonie du thé.
Lors de la démonstration à laquelle j’ai assisté, la cérémonie du thé en elle-même est relativement courte. Mais les gestes, la concentration, l’atmosphère, créent un moment unique qui correspond à cette idée d’ichigo ichie. Le temps semble s’arrêter et nous sommes plongés dans un espace où les gestes, les odeurs, la vision, en un mot tous les sens ont comme une sensibilité accrue. C’est une expérience qui est effectivement à mettre en relation du zazen, pendant lequel on ne peut pas bouger, et où l’on fait effectivement attention à tout ce qui se passe aussi bien à l’extérieur de nous, qu’à l’intérieur. Comme aucune parole n’est prononcée pendant la cérémonie du thé, nous sommes en face d’un hôte, mais en même temps complètement livrés à nous-mêmes. Ce qui est très souvent dérangeant pour les occidentaux qui n’ont clairement pas l’habitude de ne rien faire.
Le thé matcha.
La cérémonie éveille les sens, celui du goût est évidemment particulièrement sollicité lors de cette cérémonie du thé. Le goût du thé matcha est tout à fait particulier. Cela est dû à son mode de fabrication, comme on le voit en particulier à Uji, au Sud-est de Kyoto. En effet, trois à quatre semaines avant la maturation des plants, les plantations de thé sont recouvertes d’un voile qui ne laissent plus passer que 10 % de la lumière du soleil. La plante va ainsi vouloir compenser le manque de soleil, et les feuilles vont accumuler de la chlorophylle et des acides aminés, leur conférant un goût inimitable, tout en moelleux et en finesse.
Ces feuilles sont ensuite cueillies à la main et enfin découpées en fines particules par un broyage à la meule de pierre. La spécificité du thé matcha est que c’est la feuille elle-même que l’on ingurgite, contrairement aux autres thés qui sont des infusions.
La cinquième saveur : umami.
C’est pourquoi le thé matcha a une saveur toute particulière. Comme cette saveur étant indéfinissable, elle était donc considéré comme la cinquième saveur, en plus du salé, du sucré, de l’acide et de l’amer. Le nom d’umami lui a été donné. Il est dérivé du mot japonais umai qui veut dire bon, savoureux. Un chercheur japonais du nom de Kikunae Ikeda a réussi à trouver les éléments constituants de cette saveur en 1908. Cette quête d’umami va ensuite se développer à d’autres mets. Et nous allons retrouver cette saveur d’umami dans le dashi, les algues, dans les champignons shiitake, également très présents dans la cuisine japonaise.
Les influences de la cérémonie du thé sur les arts, l’artisanat et le mode de vie.
La pratique de la cérémonie du thé s’est peu à peu répandue à toutes les couches de la société. Les domaines dans lesquels elle a exercé une influence sont ainsi très nombreux. Tout d’abord la fabrication des bols à thé selon la technique du raku a donné naissance à un art à part entière, qui s’est ensuite répandu dans l’ensemble du Japon. Elle a eu une influence sur le développement de plusieurs artisanats qui se sont ainsi développés à Kyoto. On peut ainsi citer l’ikebana (arrangement floral), celui de la construction des jardins, de formes d’architecture spécifique liées à la construction des maisons de thé, l’art de fabrication des kimonos, celui culinaire des kaiseki., etc.
Auxquels il faut ajouter l’art de fabrication des pâtisseries. Comme il existait plusieurs grandes écoles de cérémonie du thé, chaque école faisait appel à un fournisseur attitré en quelque sorte. Cette tradition s’est perpétuée jusqu’à nos jours, et selon mes sources, la boutique Turuya (鶴屋吉信), située au croisement de Horikawa et de Imadegawa, serait issu de l’un d’eux.
Kaiseki et cafés à Kyoto.
Le kaiseki, c’est-à-dire le fait d’associer des petits plats pour faire un repas est aujourd’hui une des pratiques culinaires les plus répandues dans la cuisine japonaise, dont plusieurs restaurants sont particulièrement renommés.
J’ai pu assister également à une mise en scène dans un café autour d’une confiserie. Notre hôte nous a ainsi raconté l’histoire de cette confiserie, d’où elle venait. Elle représentait la montagne en automne recouverte de feuilles. Puis il nous a présenté les meilleurs thés et sakés pour accompagner cette confiserie. Nous spécifiant le mode de fabrication et les goûts particuliers de chacun. Je ne peux m’empêcher de penser que cette façon de faire est lointainement inspirée de la pratique de la cérémonie du thé.
Les endroits où l’on peut pratiquer la cérémonie du thé à Kyoto,
Il existe de nombreux endroits où l’on peut participer à une démonstration de la cérémonie du thé à Kyoto. Ces démonstrations sont bien entendue des versions édulcorées pour les touristes par rapport à la véritable cérémonie du thé. Mais elles permettent néanmoins de s’initier à cet art et d’en découvrir les premières saveurs.
Il est par contre très difficile de se perfectionner dans cette voie. Les cours coûtent en effet très chers et sont réservés à une élite. Je ne parle même pas d’être convié à une cérémonie du thé organisée par un des derniers maîtres. Car pour cela, il faut connaître personnellement l’un des héritiers d’une des lignées officielles qui existent encore à Kyoto, mais qui sont relativement rares.
2 commentaires
Hugues
Super article, bourré d’info et bien écrit. Merci beaucoup du partage 🙂
Philip
Super article très complet ! Je ne pensais pas que la cérémonie est aussi courte.